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La controverse sur le déboulonnage des statues est un mouvement sans frontière ou transnational. De “Rhodes must fall” en Afrique du sud à “Black Lives Matter” aux Etats-Unis en passant par le mouvement “Rouge, Vert, Noir” en Martinique, les vagues iconoclastes liées au passé esclavagiste et colonial ne sont pas une spécificité française, ni même un mouvement né au cours de l’année 2020.

L’étude de l’espace public américain, société ségréguée, permet de
comprendre qu’il existe d’autres traitements possibles du débat. S’il est proposé au lecteur de découvrir la controverse sous l’angle français, depuis l’Outre-mer et la métropole, dans la quasi-totalité du site internet, il découvrira dans cette page les contextes étrangers ainsi que les pistes de solutions amorcées.

un mouvement sans frontieres

ORIGINE INTERNATIONALE DE LA CONTROVERSE

           L’origine de la controverse sur les statues liées à l’esclavage et à la colonisation est difficile à identifier. Le questionnement de la présence de racisme dans l’espace public n’est pas propre à la France. Les mouvements sociaux apparus en juin dernier trouvent leur origine auprès de contestations sociales s'opposant à des violences perpétrées à l'encontre de personnes d'origine afro-américaine.

 

En 2015, plusieurs monuments aux États-Unis ont été tagués avec le slogan Black Lives Matter suite à l’assassinat de 9 fidèles noirs par un suprématiste blanc, Dylann Roof, le 17 juin 2015 à Charleston. Des manifestations ont eu lieu ainsi qu’une demande de retrait des monuments jugés racistes en l’honneur des héros de la Confédération. Ce sont ces statues qui sont au cœur des revendications aux Etats-Unis. Pour rappel, les États confédérés se sont opposés au président Abraham Lincoln élu en 1860 sur un programme qui refusait l’esclavage. L’économie des États esclavagistes, situés pour la plupart au sud du territoire américain, reposait sur l’agriculture. Ils ont décidé de faire sécession et de mener une guerre qu’ils perdront quelques années plus tard. Les statues des Confédérés ont été dressées entre 1890 et 1929, soit 30 ans après la fin de la Guerre Civile.

 

Les Sudistes blancs ont réécrit le discours historique en faisant de cette guerre un effort historique. Ils ont construit ce que l’on nomme « le mythe de la cause perdue ». Si l’origine de la Guerre Civile est attribuée à la volonté de préserver l’esclavage, les fondateurs du mythe de la cause perdue ont plaidé pour la quête d’autonomie et la défense des droits des États du Sud. L’érection des statues a eu comme double fonction de montrer aux premières générations d’afro-américains nées en dehors de l’esclavage, directement dans l’espace public, que le fonctionnement du Sud reposait sur la suprématie blanche tout en comblant leur nostalgie de cette période. Les statues ne sont pas les seuls symboles choisis par les états du Sud pour illustrer cette période de leur histoire : rues, campus universitaires portent également le nom des soldats confédérés.

Origine internationale

DES PHENOMENES PRECEDANT BLACK LIVES MATTER

          James Grossman, directeur de AHA (American Historical Association), explique dans le Washington Journal que ces réclamations ne sont pas nouvelles. Depuis la fin du XIXe siècle déjà, les revendications sont fréquentes mais les groupes à l’origine de ces requêtes ne se sont pas suffisamment fait entendre selon l’historien. Après le massacre de Charleston, l’association Southern Poverty Law Center (SPLC),, a publié un rapport d’enquête sur les monuments publics en l’honneur des Confédérés.

 

Selon ce dernier, 718 monuments ou statues dans le pays (et principalement dans les États du Sud) célèbrent les « héros » de la Confédération. À titre indicatif, plus de 109 écoles publiques portent le nom du général Robert E. Lee, Jefferson Davis etc. Après l’attentat de Charleston, 114 statues ont été retirées dans tout le pays, provoquant de violentes manifestations organisées par des nationalistes blancs organisées pour défendre leur maintien. La statue du Général Robert R. Lee est emblématique de ces mouvements.

 

En 2017, en réaction à la décision votée par la majorité du conseil municipal de Charlottesville de retirer la statue équestre du Général Robert E. Lee, une importante manifestation a eu lieu le 6 février. Cette décision a été immédiatement attaquée en justice par des groupes d’habitants pour des raisons mémorielles, d’identité nationale, de classement historique du quartier et de l’avenue. Parallèlement à cela, la statue a été peinturée de rouge, taguée avec le slogan Black Lives Matter. L’Etat de Virginie a adopté dans le même temps une loi empêchant la ville de retirer le monument. Le 12 août 2017, des nationalistes blancs faisant partie du Ku Klux Klan, de groupes néonazis, de la droite Alt Right ont organisé un rassemblement « Unite the Right » pour empêcher le retrait de la statue de Robert E. Lee.

Avant BLM

         Toutefois, la controverse a pris une ampleur inégalée dans l’espace public au moment des manifestations antiracistes contre l’assassinat de Georges Floyd le 25 mai 2020. Début juin, plusieurs statues, notamment celles de Christophe Colomb et d’autres responsables confédérés, ont été déboulonnées dans le pays. A l’image du mouvement Black Lives Matter, la question du déboulonnage des statues a dépassé les frontières. En Angleterre, la vidéo du déboulonnage de la statue d’Edward Colston jetée dans le fleuve à Bristol a, par exemple, fait le tour des réseaux sociaux le 7 juin.

L'avance des Antilles

é22 MAI 2020 - LES ANTILLES ouvrent le bal

          En ce qui concerne la France, avant même l’assassinat de Georges Floyd, des militants avaient dégradé et fait tomber des statues de Victor Schœlcher le 22 mai 2020 en Martinique à l’occasion de la journée de commémoration de l’esclavage.

 

La question refait surface alors qu’un travail de mémoire avait été effectué en Martinique notamment grâce à Aimé Césaire, député de l’île et maire de Fort de France pendant presque 50 ans. La statue de Joséphine de Beauharnais, épouse de Napoléon et martiniquaise ayant appartenu au groupe de colons esclavagistes, a été abîmée dans les années 1970 puis décapitée en 1991. Les militants du MIR (Mouvement International pour les Réparations) ont réclamé son retrait, pourtant Aimé Césaire a plaidé pour son maintien.

 

Aujourd’hui, cette statue est toujours en place, sans tête et peinturée en rouge pour symboliser le sang des esclaves. Aimé Césaire y a vu une forme de narration de l’histoire de la Martinique et un moyen de commémorer les différentes étapes de l’histoire. La mémoire du passé est bien au centre de la controverse sur le déboulonnage des statues ; celles-ci étant perçues par les populations elles-mêmes comme des symboles et des insultes aux populations descendantes d’esclaves.

          La controverse est ainsi née bien avant le phénomène lancé par la cancel culture et questionne l’organisation de la société entre construction de l’espace public et mémoire collective. L’iconoclasme dans son acception de destruction des œuvres et images est un processus très ancien. Plusieurs grandes vagues iconoclastes ont eu lieu avec les Huguenots, la Révolution Française. À cette dernière occasion, tous les symboles de la royauté ont été détruits et enlevés de l’espace public. Emmanuel Fureix, dans Iconoclasme et révolutions : De 1789 à nos jours, explique que le processus de destruction des statues après la révolution française et tout au long du XIXème siècle est une « substitution (qui) permet de marquer positivement l’espace ».

 

Il emploie le terme de sémioclasme qui semble qualifier le processus lié au déboulonnage des statues n’étant plus d’actualités par rapport aux nouvelles valeurs et politiques d’une société : « Le sémioclasme est l’altération intentionnelle d’un signe visuel, symbole ou emblème, dont le référent est abhorré ». Il ajoute que cette notion est plus universelle dans la mesure qu’elle dépasse la dimension religieuse attribuée à l’iconoclasme. Emmanuel Fureix précise que la controverse naît dans l’histoire et l’évolution du regard porté aux statues la faisant passer d’objet de culte ou de profond respect/ admiration à une source de controverse.

" Les mouvements se connectent l'un l'autre, se rechargent réciproquement et fonctionnent ensuite par des phénomènes de relais"

 

Bertrand Tillier

éles politiques americaines instaurees

          Aux Etats-Unis, les mouvements sociaux des dernières années ont permis d’accélérer la mise en œuvre de premières politiques publiques de déboulonnage des statues. Si les premières destructions étaient spontanées durant des manifestations, pour apaiser le mouvement social, des États ont rapidement pris des décisions. Le gouverneur de Virginie, Ralph Northam, a annoncé la mise en place d’un plan de retrait des monuments avec la volonté d’introduire une ordonnance le 1er juillet à cet effet.

 

En réalité, avant même que le mouvement social ne ressurgisse avec la mort de George Floyd, un texte avait été voté en mars 2020 et devait entrer en vigueur au mois de juillet. Le 8 mars, les législateurs de Virginie ont adopté une ordonnance annulant une loi d'État qui protégeait les monuments permettant à l’avenir aux gouvernements locaux de décider du retrait ou non de ceux-ci. Ralph Northam avait exprimé son souhait de donner aux localités la responsabilité de la suppression des statues des Confédérés. De mars à début juillet, le gouverneur de Virginie a rappelé qu’il travaillait à la création d’un procédé pour déboulonner les statues de façon contrôlée. Le mouvement social n’a donc qu’accéléré le processus engagé. Par exemple, la ville de Richmond, capitale de la Confédération, a pris en juin la décision unanime en conseil municipal de déboulonner le reste des statues malgré un recours en justice déposé suite à l’annonce de Ralph Northam de retirer la statue du général Lee de la grande avenue. Comme annoncé au préalable, le 1er juillet 2020 a marqué le début de la vague des déboulonnages dans cette ville. Les statues de Stonewall Jackson, Matthew Fontaine Maury, Joseph Bryan et de nombreux autres monuments en l’honneur des Confédérés ont été retirées par la mairie de Richmond. C’est un État très symbolique, fief de la Confédération, qui rompt avec son passé sudiste. Ces décisions sont en réalité marquées par une évolution politique. Après avoir été dirigée par le parti Républicain pendant des décennies, la Virginie est passée sous pavillon Démocrate en 2008. Levar Stoney, maire de Richmond a expliqué dans une vidéo diffusée sur Twitter vouloir tourner la page d’un passé ayant fait de la ville, la capitale de la Confédération, il y a 155 ans de cela.

          Plusieurs États et municipalités ont pris le relais du mouvement social en prenant des décisions concrètes pour répondre à la demande de manifestants. Au-delà des initiatives locales, une loi a été votée le 22 juillet 2020 aux Etats-Unis par la Chambre des représentants, en faveur du retrait des statues des responsables confédérés présentes au Capitole à Washington. Cette loi, adoptée à 305 voix contre 113, réclame de retirer « toutes les statues de personnes ayant choisi de servir les Etats confédérés d’Amérique du Capitole des Etats-Unis », où le Congrès est présent.

 

Cette loi est un pas symbolique pour le pays qui accepte de questionner son passé esclavagiste. L’association Southern Poverty Law Center (SPLC), a salué dans un communiqué la décision de remodelage de l’espace public : « Despite President Trump’s repeated attempts to defend racist Confederate symbols and use them to further sow division among Americans, we view today’s vote as another step forward by elected and government officials to recognize that imagery glorifying hate doesn’t belong in public spaces ». Néanmoins, un vote du Sénat et une promulgation présidentielle sont essentiels pour que la loi soit mise en vigueur ce qui n’a pour l’instant pas été réalisé. Le président Donald Trump avait marqué son opposition au retrait des statues confédérées. La dimension politique de la controverse est en cela considérable.

Politiques américaines

éles politiques instaurees en europe

         Du côté de la Belgique, le député Kalvin Soiresse Njall souligne que la prise de conscience de l’empreinte coloniale dans l’espace public apparaît dans le débat public en 2004. La statue de Léopold II érigée à Ostende est au cœur de la polémique. En 2008, elle est couverte pour dénoncer le crime de la colonisation belge du Congo. Les politiques publiques belges tendent à vouloir retirer les statues liées à la colonisation. Le 4 juin 2020, une résolution a été déposée à la région de Bruxelles-Capitale par les partis de la majorité afin d’établir un inventaire des noms de places publiques et de rues liées à l’histoire coloniale belge afin de déplacer ou contextualiser les monuments, ce qui traduit une volonté d’aborder frontalement l’histoire et la mémoire de la décolonisation.

 

Par ailleurs, la mobilisation publique sur cette question de la présence de l’héritage colonial dans la société est particulièrement vivace. En 2013, le “Collectif Mémoire coloniale et lutte contre les discriminations (MCLD)” a lancé des visites guidées « décoloniales » dans 8 villes de Belgique. Le but étant de faire prendre conscience au grand public que les villes et les rues sont encore marquées par la colonisation et de lutter contre le « déni colonial ». L’association réclame la pose de plaques explicatives contextualisant les statues, monuments et noms de rues aux dimensions coloniales.

En Australie, l’écho de Black Lives Matters a relancé les appels à démonter les statues coloniales comme celles du capitaine Cook, celles de Robert Towns  ou encore celles de Lachlan Macquarie ainsi qu’à s’interroger sur le passé brutal du pays. Depuis les années 1980, lorsque des universitaires avaient commencé à remettre en question la vision officielle d'une colonisation pacifique de l'Australie, un débat houleux s'était engagé sur les effets de la colonisation et son impact sur les populations indigènes. Ces mêmes populations s'étaient déjà exprimées en faveur du retrait ou de la modification des statues du capitaine James Cook. Le présentateur Stan Grant s'est notamment insurgé contre le fait que le monument se trouvant à Sydney porte l’inscription : "A découvert ce territoire en 1770".

 

Une pétition à été lancée par à Cairns, par Emma Hollingsworth, une artiste aborigène, demander le retrait de la statue, “It just represents all the bad things that happened to my people pretty much straight after Cook stepped foot on our land — the genocide, the slavery and the stolen generations”. La pétition a recueilli 15 000 signatures et de nombreux commentaires soulignant à quel point le bras déployé de la statue ressemble à un salut nazi. Elle a également suscité une campagne concurrente demandant le maintien de la sculpture. Il y a également eu un mouvement pour renommer les îles Cook, nommées d'après Cook, pour refléter l'héritage polynésien.

 

Depuis, des milliers d'Australiens ont défilé pour dénoncer l'injustice raciale et la mort de plus de 400 Aborigènes en détention au cours des trois dernières décennies. De nombreux historiens tels que Bruce Scates déplorent la méconnaissance de ce chapitre “triste et désolé” de l’histoire du pays.  La question divise énormément, certains voyant principalement la violence des actes perpétrés, d’autres la contribution à l'histoire de la Colombie-Britannique.

Du côté de l’Afrique du Sud, les contestations ont débuté dès les années 2000, avec la dégradation du mémorial de Rhodes en 2001 avec de la peinture rouge. Ce même buste à de nouveau été abimé en 2017 quand le nez de la statue avait été cassé avant sa décapitation en 2020.  Mais c’est avec le mouvement Rhodes Must Fall, qui a débuté en 2015 que les choses ont pris de l’ampleur.

 

Un étudiant du nom de Chumani Maxwele a maculé la statue d'excréments avant de la recouvrir de sacs poubelles. Les étudiants y voyaient un symbole de l'oppression exercée jusqu'en 1994, date officielle de la fin du régime de l'apartheid, par la minorité blanche sur la majorité noire en Afrique du Sud. Le mouvement a fait la une des journaux nationaux tout au long de 2015 et a fortement divisé l'opinion publique. Des manifestations similaires ont éclaté dans tout le pays au cours de l’année suivante de février 2016, avec des protestations dans différentes universités. 

Toutefois, il est vrai que le démantèlement de la statue n’a pas eu d’effet direct sur le racisme institutionnel dont il est question au travers de la violence symbolique de la statue. Au-delà du symbole, Rhodes Must Fall s' inscrit dans la durée et continue d’innover, tant par ses formes que par les lieux où il se déploie, et a notamment permis de faire le pont entre l’Afrique du Sud et l’Angleterre.

        Ainsi, ces contestations de statues liées à la colonisation et à l’esclavage s’inscrivent dans une dynamique transnationale (Rouge Vert Noir, “Rhodes must fall”, “Black Lives, Matter”). Pour Bertrand Tillier : "ce sont des mouvements qui se connectent l’un l’autre, qui se fécondent l’un l’autre et ensuite fonctionnent par des modes de relais”. Pour lui, il est nécessaire d’envisager ces mouvements à l’échelle mondiale, ou du moins transnationale. Cela ne signifie pas pour autant que les dynamiques nationales ne reflètent pas l’ensemble du problème. D’après Jacqueline Lalouette, dans la mesure où la séquence contestataire et iconoclaste démarre “le 22 mai 2020, trois jours avant la mort de Georges Floyd”, le contexte français, notamment dans les relations qu’entretiennent la métropole et les départements d’outre-mer, est particulièrement fécond pour comprendre la controverse qui entoure le déboulonnage des statues de figures liées à l’esclavage et la colonisation.

Politiques européennes
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