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Objet artistique

Objet  invisible

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UN OBJET

MEMORIEL

un "Vecteur de memoire"

 

Dans la perspective tridimensionnelle décrite par Bertrand Tillier, les statues sont érigées dans une optique mémorielle. Ces objets mémoriels assurent la représentation physique d’un individu, majoritairement des hommes. Réalisées pour la plupart entre le milieu du XIXe siècle et le début du XXe siècle, elles glorifient la figure du "grand homme" : le héros de guerre pour Faidherbe, l’anti-esclavagiste pour Schoelcher.

 

Maurice Agulhon réhabilite le terme de statuomanie pour décrire le phénomène d’érection massive de monuments publics censés légitimer le pouvoir des régimes politiques se succédant au cours de cette période d’instabilité. Les statues ont en effet été choisies, financées, inaugurées, célébrées à un moment de l’histoire pour s’ancrer comme des “vecteurs de mémoire” et des “points de repères” selon les propos de Sarah Gensburger, reprenant l’expression de Roger Bastide.

 

Cette quête de transmission d’une mémoire répond à des valeurs nationales et une vision déterminée de l’histoire du pays dans lequel elles s’inscrivent. La pierre fige et permet de conserver la trace physique d’un moment de l’histoire.

le "souhait" d'une éepoque

 

Jacqueline Lalouette insiste sur ce point : “Ces statues ne représentent pas seulement un homme donné, elles rendent compte aussi d’un souhait, d’un idéal, d’une sensibilité, d’un ensemble très important de populations à un moment donné.”  L’instant T de l’érection de la statue est à prendre dans sa singularité puisqu’il traduit une volonté et une vision momentanée de la mémoire qui se veut transmise.

 

L’historienne explique que la construction de ces monuments publics émane d’une intention collective : ceux qui souscrivent au projet, ceux qui participent à son financement, ceux qui se déplacent pour l’inauguration. Le choix n’est pas uniquement municipal mais mobilise une académie, une société, un groupement d’individus lançant des appels à souscriptions pouvant dépasser le cadre local pour être national ou international. Au XIXe siècle, la statuaire publique est globalement motivée par un objectif d’éducation civique selon Jacqueline Lalouette.

" Ces statues ne représentent pas seulement un homme donné, elles rendent compte aussi d'un souhait, d'un idéal, d'une sensibilité, d'un ensemble très important de populations à un moment donné. " 

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Jacqueline Lalouette, historienne, membre senior de l'Institut Universitaire de France

Le support de valeurs choisies

 

Jacqueline Lalouette ajoute que la statue n’a qu’un sens, celui pour lequel elle a été érigée. Par conséquent, les relectures militantes tendent à modifier le sens originel et l’intention de départ. L'historienne Jennifer Sessions affirme que chaque monument est spécifique et individuel, ce qu’il commémore, les valeurs qu’il incarne ; en reconnaissant que la relation entre les monuments et la société évolue dans le temps.

 

La question des interactions entre l’histoire et la mémoire soulève un enjeu central, identifié par Bertrand Tillier : “Les statues sont-elles des objets du passé ou des objets du présent ?”. Les acteurs qui voient en eux des objets du passé, c’est-à-dire des objets patrimoniaux représentatifs de l’histoire nationale, refusent par principe leur contestation et mettent en garde contre l'anachronisme. Pour Mona Ozouf et Maurice Sartre, “Ce péché contre l’intelligence du passé consiste, à partir de nos certitudes du présent, à plaquer sur les personnages d’autrefois un jugement rétrospectif" - la tribune du Monde est emblématique de cette position mais ce n’est pas la seule.

 

Le maire de Reims, Arnaud Robinet, utilisait aussi cet argument pour justifier la conservation de la statue de Colbert, figure rémoise. À l’opposé, des acteurs voient les statues comme des objets du présent. Parmi eux, Jennifer Sessions réfute l’argument de l"anachronisme et revendique que l’esclavage et la colonisation n’étaient pas les seules valeurs disponibles à leurs époques respectives : “Colston et Colbert ont fait des choix. Dire qu’ils étaient des hommes de leur temps, c’est renier la validité du jugement. Le refus d’humanité des personnes victimes de la traite, de l’esclavage, de la colonisation”.

 

Autrement dit, à travers ces statues, il y a un choix concernant les valeurs transmises dans la société. Parce que ces statues sont des objets mémoriels, ils sont toujours présents, et par conséquent contestables. Silyane Larcher tient également cette position : “Nous sommes invités à réfléchir à la manière dont l’espace public, s'il est un espace du commun, pourrait incarner, symboliser un espace partagé. (...)”. 

memoire et eémotion

 

Au-delà de cette matérialité, l’objet statue, comme les plaques ou les noms de rues, forment des “supports mémoriels” selon Karen Taïeb. La question mémorielle cristallise les tensions et la contestation des statues puisqu’elle appelle à l’émotion. Pour elle, la mémoire se mélange à l’affectif et dépasse la rationalité. La statue comme objet d’une mémoire est admise. Toutefois, le type de mémoire transmise est controversé.

 

Achille Mbembe, dont le travail porte sur les statues et monuments coloniaux sur le continent africain, analyse aussi cette présence comme un “vecteur mémoriel” (Sarah Gensburger) ou plutôt comme un rappel constant de l’accoutumance aux massacres passés. L’érection de ces monuments a une visée dominatrice pérenne. Cette domination est pensée sur les corps des sujets mais également en laissant des marques dans l’espace qu’ils habitent et par le biais de traces dans l’imaginaire collectif.

 

Les statues ne sont alors pas considérées comme des artefacts esthétiques destinés à embellir les villes mais comme des rappels de la domination, des objets de mémoire. Ainsi, ces “points de repères mémoriels” dont parle Sarah Gensburger sont à l’origine de la “cristallisation des souvenirs et des revendications”.

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