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Que fait-on des statues ?

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Symboles et rapports sociaux 

 

Les réponses évoquées, qu’elles soient de l’ordre de la conservation, du déplacement ou de la création dans toute leur pluralité, sont considérées comme symboliques à l’image de l’objet statue. Objet figuratif “tridimensionnel” (Bertrand Tillier), les réponses focalisées sur l’objet font partie des réparations symboliques.

 

Sarah Gensburger explique que l’on ne peut pas transformer une société et des comportements par le biais d’objets symboliques. “La question symbolique n’a de sens que si elle est liée aux autres enjeux, notamment économiques”.

 

Elle invite à dépasser les symboles en résolvant les conséquences économiques structurelles et en posant la question des « réparations » et non en se focalisant sur ce qu’elle qualifie « d’incarnation individuelle d’un passé ».

 

Sarah Gensburger revient sur la vanité de la dimension symbolique comme réponse aux rapports sociaux conflictuels en insistant sur le fait que le “for intérieur n’existe pas en sociologie”. Le symbolique n’est alors pas apte à répondre aux antagonismes sociaux. La dimension des réparations économiques et matérielles est alors à considérer. Jacqueline Lalouette montre qu’il est extrêmement difficile de savoir qui serait éligible aux compensations matérielles :

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“ Si on faisait l’arbre généalogique de toutes ces personnes-là, on trouverait des mélanges de couple. Il sera impossible d’estimer qui a droit ou qui n’a pas droit à une réparation.” 

Jacqueline Lalouette, historienne, membre senior de l'Institut Universitaire de France

Une reparation materielle impossible ? 

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S’ajoute à cela la question de l’efficacité de la réponse au regard des préjudices subis. Il manque un savoir institutionnalisé permettant de proportionnaliser l’offense faite aux populations colonisées et esclaves et la réponse que l’on peut apporter en agissant dans l’espace public qui en porte encore l’empreinte.

 

Beaucoup de sociologues comme Sarah Gensburger ou Yoann Lopez ont également travaillé sur d’autres processus mémoriels comme celui de la Shoah et ont constaté que leurs traitements sont très différents en fonction de l’impact plus ou moins direct qu’il y a eu dans les sociétés.

 

L’exemple comparé de la Shoah est révélateur : pourquoi y a-t-il eu une réponse rapide dans ce cadre-là et non pour réparer les crimes liés à l’esclavage et à la colonisation alors même que la massivité des exactions commises a une ampleur qui peut être similaire bien que le fond ne soit pas identique ? Cette absence de savoir mémoriel/ compensateur entoure le problème de la construction d’une politique de réparations et forge l’un des principaux enjeux de la controverse. Il y a toutefois eu une tentative de construction de cette proportionnalité par le MIR (Mouvement international pour les réparations) avec le concept des 3 R : 

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  • Le principe de reconnaissance : le monde occidental doit reconnaître la dette historique envers tous les peuples qui ont été asservis.

  • Le principe de réparations : Cette dette historique se caractérise par un travail d’indemnisation des victimes et de travail de reconstruction de l’espace public. 

  • Le principe de réconciliation : Trouver une entente entre les parties et concevoir un futur sans oublier le passé. 

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Enfin, très récemment (le 10 mai 2021), l’équipe du Centre international de recherche sur les esclavages et les post-esclavages du CNRS guidée par Myriam Cottias, dans le cadre du projet “Repairs” a publié une base de données retraçant les attributions de titres d'indemnités délivrées au XIXème siècle aux anciens propriétaires d’esclaves au moment de l’abolition de l’esclavage en 1848.

 

Myriam Cottias explique que ce travail cherche à définir les personnes ayant été indemnisées à l’époque et plus largement de redéfinir dans l’imaginaire collectif l’identité des colons. Au-du travail historique, cette constitution de données interactives (cartes, articles) permet de questionner l’établissement possible d’une méthode de quantification scientifique des réparations, matérielles et économiques, produite en fonction de ces éléments. S’ouvre alors une voie à la constitution d’un savoir spécialisé scientifique.

 

 

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Au-delA des rEparations Economiques, le juridique ? 

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Magali Bessone aborde les demandes de réparations comme des questions de “justice mémorielle”. Pour réaliser cette justice, il est nécessaire de faire un récit de la continuité historique entre la période esclavagiste, puis coloniale et les inégalités structurelles contemporaines. Elle explique qu’il est difficile d’appréhender la nature exacte de l’injustice au titre de laquelle il est demandé réparation en raison notamment d’un décalage temporel avec les faits.

 

C’est pour cela qu’elle considère qu’il faut avoir une approche non pas interactionnelle mais structurelle. L’abolition de l’esclavage et de la colonisation ont perpétré la mise en place de systèmes judiciaires continuant l’exploitation et l’oppression de ces mêmes populations.

 

Elle pense que penser la réparation uniquement sous un aspect de compensation financière serait une erreur. La justice ordinaire n’est pas assez puissante pour compenser dans la mesure où elle serait principalement compensatoire avec toutes les limites des calculs et d’une absence de proportionnalisation existante. Magali Bessone propose d’envisager un système juridique transitionnel nécessitant une organisation politique. Envisager la résolution de ces conflits et penser les demandes de réparations comme des questions de justice permettrait de dépasser la perpétuation de ce qu’elle qualifie d’injustices résiduelles.

 

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Le symbolique montre la voie

 

La distinction entre les réparations économiques et symboliques est à considérer. Le symbole de l’objet statue est particulièrement important pour certains acteurs militants comme Françoise Vergès qui estiment que la société actuelle n’a pas aboli en totalité l’esclavage dans la mesure où l’espace public permet symboliquement l’expression du colonial.

 

Yoann Lopez explique que dans l’impossibilité de proportionnaliser l’offense et les réparations matérielles, le symbolique doit primer. À Bordeaux, les retours obtenus suite à la politique mémorielle menée ont été très positifs selon lui. Seules des revendications ont été émises par l’association Mémoires & Partages, s’expliquant par le caractère revendicatif des associations. La politique mémorielle est considérée comme une dynamique de réparation, de mea culpa. Les travaux de mémoire lancés à la suite de deux "commissions-mémoire" composées de profils hétéroclites permettent selon Yoann Lopez de réconcilier et de dépasser la dimension symbolique du seul objet statue.

 

Pour Richard Vassakos, l’une des pistes serait d’illustrer le conflit. Il s’agirait d’un pis-aller proposant un maintien temporaire de l’ancien hommage en le contextualisant et en expliquant pourquoi le nouvel hommage le remplacerait progressivement. 

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Ainsi, sans savoir permettant de proportionnaliser l’offense subie et la réponse à apporter dosant entre symbolique et matériel, Bertrand Tillier estime que l’on est obligé d’adapter les réponses au cas par cas et d’arbitrer, pour chaque statue, en fonction de chaque lieu.

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