Avant d’étudier les possibilités d’avenir pour les statues présentes dans l’espace public liées aux périodes esclavagistes et coloniales, il s’agit de comprendre ce qu’est l’objet de statue en lui-même et ce qu’il représente. La multiplicité des aspects sous-jacents fait de la statue un objet non-identifié, responsable de la formation d’une controverse.
Avant d’étudier les possibilités d’avenir pour les statues présentes dans l’espace public liées aux périodes esclavagistes et coloniales, il s’agit de comprendre ce qu’est l’objet de statue en lui-même et ce qu’il représente. La multiplicité des aspects sous-jacents fait de la statue un objet non-identifié, responsable de la formation d’une controverse.
Avant d’étudier les possibilités d’avenir pour les statues présentes dans l’espace public liées aux périodes esclavagistes et coloniales, il s’agit de comprendre ce qu’est l’objet de statue en lui-même et ce qu’il représente. La multiplicité des aspects sous-jacents fait de la statue un objet non-identifié, responsable de la formation d’une controverse.
Avant d’étudier les possibilités d’avenir pour les statues présentes dans l’espace public liées aux périodes esclavagistes et coloniales, il s’agit de comprendre ce qu’est l’objet de statue en lui-même et ce qu’il représente. La multiplicité des aspects sous-jacents fait de la statue un objet non-identifié, responsable de la formation d’une controverse.
UN OBJET
PATRIMONIAL
" Toutes les personnes qui sont en charge du patrimoine vous diront qu'on est là pour la pérennité, pour préserver pour les générations futures (...) Nous ne sommes que de passage."
​
Karen Taïeb, adjointe à la mairie de Paris en charge du patrimoine,
de l'histoire de Paris et de la relation avec les cultes
Le patrimoine se fabrique
Parce que l’objet statue est un objet singulier, à la fois œuvre d’art, objet mémoriel et monument public, il est un héritage du passé dont il faut prendre soin. Jacqueline Lalouette insiste sur ce point : “On ne peut pas traiter une statue comme on traite un réverbère ou une corbeille à papier”. Contrairement à un réverbère ou une corbeille à papier, ces statues sont des objets patrimoniaux.
Les monuments historiques
Qu’est-ce qu’un objet patrimonial ? Julie Deschepper attire l’attention sur le fait que le patrimoine “n’existe pas a priori : il n’est ni donné, ni acquis, il se “fabrique”. Cette idée a été démontrée et popularisée grâce à l’ouvrage de Nathalie Heinich, La fabrique du patrimoine paru en 2016.
Le patrimoine est une “construction sociale”, le résultat d’un “processus par lequel [des objets matériels ou immatériels] obtiennent le statut de patrimoine”. Ce processus est appelé “patrimonialisation”. Le patrimoine n’est pas. Il se fait. Pour autant, lorsque la notion émerge dans les années 1970, elle s’identifie aux monuments historiques et vient remplacer dans l’usage cette expression. Nathalie Heinich évoque par exemple la création de la “Direction du patrimoine” au Ministère de la Culture en 1975. Depuis 1964, cette question était administrée par le “Service de l’inventaire” ou “Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France”.
A priori, n’importe quel objet peut devenir patrimoine. Néanmoins, le processus de patrimonialisation cible d’abord les monuments historiques : “majoritairement matériel et bâti, architectural, rare et précieux”. Dans les années 1980, le processus de patrimonialisation étend ses contours : “d’un patrimoine monumental, religieux et souvent aristocratique, vers les patrimoines populaire, urbain, contemporain, rural et naturel”.
C’est le début de “l’inflation patrimoniale” (ou heritage boom), séquence historique qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui. Le patrimoine touche une diversité d’objets, matériels ou immatériels, allant des œuvres d’art aux animaux en passant par des traditions intellectuelles ou des coutumes locales. “Tout, donc, ou presque, peut devenir patrimoine”.
" Le patrimoine n'existe pas a priori : il n'est ni donné, ni acquis, il se fabrique. (...) C'est une construction sociale "
​
Julie Deschepper, historienne, spécialiste des études patrimoniales
Le langage fait le patrimoine
Néanmoins, le patrimoine ne se définit pas seulement à partir des objets qu’il reconnaît, il dépend pour une part du regard que l’on porte sur lui et des missions qu’on lui confie. Pour Julie Deschepper : “C’est le discours sur le patrimoine qui fait le patrimoine”. Pour qu’un objet soit patrimonialisé, il faut un “acte de langage”. Le langage fabrique du patrimoine. Les objets patrimonialisés deviennent alors des moyens de transmettre ce discours fondateur.
Il n’y a plus qu’à déterminer qui pose cet “acte de langage”, qui fait patrimoine. Julie Deschepper, dans la continuité des travaux de Laurajane Smith, utilise le concept de “discours patrimonial autorisé” (“authorized heritage discourses”).
Cette notion “met en lumière l’existence de discours dominants portés sur le patrimoine dans les sociétés modernes occidentales, discours qui reproduisent ceux des élites, qui transmettent une histoire consensuelle, souvent linéaire, basée sur des valeurs nationales, qui sont fondés sur une certaine vision de l’esthétique et qui sont portés par les “experts” “.
Autrement dit, seuls certains discours font patrimoine, sont “autorisés” à juger de ce qui, dans ce que chaque génération hérite de la précédente, est légitime d’être protégé et conservé, reconnu digne d’être transmis aux générations qui suivent.
une experience emotionnelle
Or, ce discours “dominant” n’est pas seul. Julie Deschepper évoque l’importance des discours “dissonants” ou “conflictuels”, qui contestent l’hégémonie de ceux qui tranchent entre les objets, les histoires, les mémoires qui méritent de faire patrimoine et celles qui ne le méritent pas.
Si le patrimoine est défini par ce qu’il protège et les regards que l’on porte sur lui, il est également une “expérience” : “le patrimoine est aussi construit par la réception émotionnelle et corporelle qu’en font les personnes visées par sa fabrication”(Julie Deschepper). La notion “d’émotions patrimoniales”, popularisée par les travaux de Daniel Fabre synthétise cette idée.
Nathalie Heinich lui préfère l’expression “d’émotion patrimonialisante” qu’elle définit comme “une émotion collective partagées par des catégories d’acteurs variées (des experts aux profanes, des simples citoyens aux édiles), unis pour obtenir, non la préservation d’un édifice menacé - car ici rien n’est promis à la destruction - mais sa mise en valeur”. Pour elle, “le patrimoine mobilise une pluralité de registres émotionnels, eux-mêmes associés à la pluralité des valeurs dont ils sont l’indice”.
Pour Julie Deschepper, de cette pluralité d’émotions résulte une pluralité des discours sur le patrimoine. Les deux pôles principaux étant le discours dominant, conservateur et autorisé et le discours dominé, contestataire et conflictuel. Ces pôles ne sont pas exclusifs. Ils sont poreux à d’autres formes de discours plus ou moins autorisés, plus ou moins contestataires.
L’essentiel, pour Julie Deschepper, est de comprendre que le patrimoine est une notion floue, changeante, définie à la fois par le type d’objet patrimonialisé, le discours légitime qui fabrique le patrimoine, et les divergences d’expériences et de regards portés par chaque individu sur ce patrimoine. C’est parce que les objets patrimoniaux sont des lieux de conflits, réceptacles d’une pluralité de discours et d’expériences que ces statues contestées liées à l’esclavage et la colonisation font controverse. La conservation ou le retrait de ce patrimoine de l’espace public questionnent au regard de la définition même donnée au patrimoine, objet non identifié.