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" Il y a vraiment plusieurs types de solutions qui ont été envisagées, on peut essayer de faire une typologie. Il y a un éventail de possibilités entre le fait de laisser le monument sur son piédestal ou son lieu de construction et le détruire ou le faire disparaître. "

Qui est-elle ?

Assistante scientifique au Kunsthistorisches Institut in Florenz et membre du Centre de Recherches Europes-Eurasie, Julie Deschepper est docteure de l’Inalco, elle a soutenu en 2019 une thèse intitulée « Le patrimoine soviétique en Russie : acteurs, discours et usages (1917-2017) ». Ses recherches portent sur les théories du patrimoine et la culture matérielle du socialisme, notamment les monuments, l’architecture et les objets soviétiques. Ses travaux ont été publiés dans International Journal of Heritage Studies, Vingtième Siècle, et Le Mouvement social, et elle a récemment dirigé le numéro 53 de la Revue russe « Le patrimoine en Russie : construction, déconstruction, reconstruction ». Elle a également été co-commissaire de l’exposition « Naissance d’un patrimoine soviétique en France » et est actuellement responsable avec Cyril Isnart du réseau francophone de l’Association of Critical Heritage Studies. Julie Deschepper participe aux épisodes #141 et #144 du podcast Parole d’histoire.

 

Positionnement  

Les statues publiques sont la “matérialisation d’un discours” sur le passé rendu public et offert à la vue de tous. Le lieu d’une statue modifie le climat émotionnel du regard des passants qui les regardent et en étudient les détails.

 

Elle relie les différentes contestations au processus de “dépatrimonialisation”, antithèse de la “patrimonialisation” qui définit le processus par lequel des “objets, matériels ou immatériels (...)

obtiennent le statut de patrimoine” et désigne l’ensemble des évènements, impliquant des acteurs

pluriels, qui transforment la chose, quelle qu’elle soit, en patrimoine.

 

De fait, la destruction totale des statues est la forme de “dépatrimonialisation” la plus radicale et la plus aboutie. En lui refusant son caractère patrimonial, les militants lui refusent son caractère mémoriel et artistique. Ces actions contestataires remettent en cause les “évidences” du patrimoine et du “poids de la mémoire sur le présent”.

 

Julie Deschepper insiste sur la flexibilité du terme “patrimoine” : “une notion flou, changeante”, définie à la fois par le type d’objet patrimonialisé, le discours légitime qui fabrique le patrimoine, et les divergences d’expériences et de regards portés par chaque individu sur ce patrimoine. C’est parce que les objets patrimoniaux sont des lieux de conflits, réceptacles d’une pluralité de discours et d’expériences que ces statues contestées liées à l’esclavage et la colonisation font controverse. La conservation ou le retrait de ce patrimoine de l’espace public questionnent au regard de la définition même donnée au patrimoine, objet non identifié.

 

En prenant cela en considération, les actions contestataires sont caractérisées comme des “résistances”, assimilées à des “usages contestataires du patrimoine” par ceux qui sont “exclu(e)s des processus de patrimonialisation” et qui demandent justice. 

 

Les activistes, quant à eux, représentent un discours “dissonant” et opposé au “discours patrimonial autorisé”, c’est à dire de “discours dominants portés sur le patrimoine dans les sociétés modernes occidentales, discours qui reproduisent ceux des élites, qui transmettent une histoire consensuelle, souvent linéaire, basée sur des valeurs nationales, qui sont fondés sur une certaine vision de l’esthétique et qui sont portés par les « experts ». 

 

Dans le cas des statues de figures liées à l’esclavage et à la colonisation, cela consiste à remettre en cause cette idée du patrimoine qui a perduré jusque dans les années 1970, un patrimoine “matériel et bâti, monumental, architectural, rare et précieux”.

 

Solutions envisagées

Episode #144. "Des statues contestées #5. Déboulonner. Et après ?” (27:25) 

“Il y a vraiment plusieurs types de solutions qui ont été envisagées, on peut essayer de faire une typologie. Il y a un éventail de possibilités entre le fait de laisser le monument sur son piédestal ou son lieu de construction et le détruire ou le faire disparaître. Entre deux, il y a la solution de la garder mais de placer un commentaire sur le monument, le conserver mais essayer d’en donner une interprétation plus pédagogique qui pourrait intégrer tous les pans de l’histoire. On pourrait changer le monument de place pour changer sa centralité, comme le monument de Staline. Mais le changer de place, pour le mettre où ? Trois grands types de solutions, le mettre dans un cimetière de statues, c’est ce qu’il s’est passé en Lituanie, dans un parc qui est devenu un musée en plein air, transformé aujourd’hui en attraction pour touriste nostalgique de l’union soviétique, ou en tout cas fan du kitsch soviétique nouvellement à la mode. Avec l’idée que les monuments ne sont pas commentés, juste placés dans la nature pour formuler et montrer ce que j'appellerai leur déchéance de monumentalité ou même de patrimonialité. et puis des parcs plus organisés, on re spatialise la mémoire pour réorganiser l’espace, réorganiser tout le discours autour des monuments qu’on pourrait appeler une forme de re-sémantisation. Le cas classique, c’est le Momento parc à Budapest, recréé à partir de tous les monuments de la ville, situés en dehors de la ville, on ne les laisse pas au regard de tous, il faut faire le choix d’y aller. On transforme ces monuments, qui ne sont plus des lieux de vénération, ni vraiment des lieux de repentance, devenus plutôt lieu d’observation de ces monuments qui sont replacés comme sous forme d’un musée à ciel ouvert. Aussi le cas à Moscou dans le Museon car le parc est situé devant le musée d’art moderne et donc pas à l’intérieur. C’est symbolique de dire que ces monuments n’ont pas leur place dans le musée mais qu’ils méritent d’être vu et conservé. Donc c’est là où ont été déplacés les premiers monuments officiellement déboulonnés (Dzerjinski, etc.). Plus tard, c’est là qu’on a replacé un monument de Staline, dans les archives il est affiché disparu alors qu’en fait, selon moi, il était caché dans les réserves du musée. Ils l’ont replacé devant dès qu’ils ont pu.”

 

Sur les solutions mixtes où peuvent intervenir des artistes (50:01)

“Y’a l’idée de remplacer le monument, de réutiliser le piédestal, et souvent c’est des réutilisation qui appel à des artistes contemporains. Exemple : monument à Staline à Prague, construit en 1958, détruit en 1962, laissé vide, en 1991, remplacé par une grande œuvre représentant un métronome, métaphore du rapport au temps, au passé au présent, du temps qui passe. Dans cette intervention de l’art contemporain, le dernier exemple, c’est le monument en l’honneur de l’armée rouge à Sofia en Bulgarie. Il est depuis au moins 10 ans, réutilisé par des artistes contemporains, réinterprété avec l’usage de la peinture. On peut penser à cette interprétation où les soldats sont peints avec des masques ou des costumes de héros de comics, puis quelques années après, repeint en rose en soutien au Pussy Riots. Puis lors du conflit entre la Russie et l’Ukraine, repeint aux couleurs du drapeau Ukrainien. On aurait encore une intervention de l’art contemporain pour modifier le sens du monument. C’est ce que propose Banksy à Bristol, puisque le monument a été repêché de la rivière où il a été jeté. Banksy propose de remettre COlston sur son piédestal mais d’ajouter trois personnages en train de tirer une corde afin de réconcilier les discours en faisant intervenir l’art contemporain.”

 

Analogie

Bertrand Tillier

Laurence Bertrand Dorléac

Felicity Bodenstein

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Ressources

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