Avant d’étudier les possibilités d’avenir pour les statues présentes dans l’espace public liées aux périodes esclavagistes et coloniales, il s’agit de comprendre ce qu’est l’objet de statue en lui-même et ce qu’il représente. La multiplicité des aspects sous-jacents fait de la statue un objet non-identifié, responsable de la formation d’une controverse.
Avant d’étudier les possibilités d’avenir pour les statues présentes dans l’espace public liées aux périodes esclavagistes et coloniales, il s’agit de comprendre ce qu’est l’objet de statue en lui-même et ce qu’il représente. La multiplicité des aspects sous-jacents fait de la statue un objet non-identifié, responsable de la formation d’une controverse.
Avant d’étudier les possibilités d’avenir pour les statues présentes dans l’espace public liées aux périodes esclavagistes et coloniales, il s’agit de comprendre ce qu’est l’objet de statue en lui-même et ce qu’il représente. La multiplicité des aspects sous-jacents fait de la statue un objet non-identifié, responsable de la formation d’une controverse.
Avant d’étudier les possibilités d’avenir pour les statues présentes dans l’espace public liées aux périodes esclavagistes et coloniales, il s’agit de comprendre ce qu’est l’objet de statue en lui-même et ce qu’il représente. La multiplicité des aspects sous-jacents fait de la statue un objet non-identifié, responsable de la formation d’une controverse.
La question des effets que ces objets du passé produisent dans notre présent est un enjeu central de cette controverse. Pour certains acteurs, l’exposition dans l’espace public de statues qui représentent des figures liées à l’esclavagisme et à la colonisation est une violence pour les descendants d’esclaves et des personnes dont les ancêtres ont été persécutés.
ÉDES STATUES VIVANTES
Dès 2006, le politiste Achille Mbembe dénonçait la présence des monuments coloniaux sur le continent africain. Pour lui, le colonisateur ne s’est pas contenté d’exercer sa domination sur les “corps de ses sujets”. Il a aussi "[laissé] des marques sur l’espace qu’[il habite] et des traces indélébiles dans leur imaginaire.” Ces monuments avaient pour fonction de faire ressurgir sur la “scène du présent, des morts, qui, de leur vivant, ont tourmenté, souvent par le glaive, l’existence des africains”.
De ce fait, la présence de ces monuments qui célèbrent le colonialisme et l’esclavagisme est, dans les anciens pays colonisés, un rappel constant de la “défaite” et de la domination, imprimé dans “l’inconscient collectif”. Ces statues symbolisent à la fois “la célébration d’un nationalisme étranger guerrier et conquérant, celle des valeurs conservatrices héritées des contre-Lumières et qui trouvent un terrain d’expérimentation privilégié dans les colonies ; celle des idéologies inégalitaires nées avec le darwinisme social ; celle de la mort réifiée qui accompagna l’ensemble”. Ce passé traumatique qui “partout nous poursuit, sans repos ni pitié, à l’étranger comme ici même, chez nous”.
Françoise Vergès aborde également la dimension symbolique de cette domination mais en insistant sur la représentation des ces grands hommes et l’héritage de l’esclavage et de la colonisation : « Les statues coloniales envoient un message : c’est l’esthétique de la domination, l’esthétique de la conquête coloniale. Très masculinisée, viriliste et militaire.”.
Pour la politologue, la question de l’esclavage et de la colonisation et son héritage dans les sociétés contemporaines est le véritable lieu du débat, non les statues : “Partout et de tout temps, des statues sont déplacées sans que personne ne s’en émeuve (...) c’est quand on demande le déplacement de statues en lien avec l’histoire esclavagiste et coloniale que ça se durcit. Donc ce n’est pas toutes les statues, ce sont les statues qui ont à voir avec ça. (...) c’est vraiment la question de l’esclavage et du colonialisme qui pose problème en France”.
Françoise Vergès oppose la violence des actions politiques de contestations à la violence des réactions que ces évènements ont suscités dans le débat public, notamment français : “la réaction si violente, je le redis, c’est parce que cela touche à l’histoire de l’esclavage et de la colonisation, qui restent des domaines qui provoque en France des réactions qui dépassent l’entendement.”. Cette crispation autour de la question de l’esclavage et de la colonisation traduit aussi l’absence de reconnaissance des continuités contemporaines de la période esclavagiste et coloniale : “Ce refus absolu de voir que la France, dès qu’elle s’est lancée dans la traite, l’esclavage et la colonisation n’était plus simplement un petit pays d’Europe. Elle était redevable de ce qu’elle faisait ailleurs. Elle est redevable de la traite à laquelle elle a participé et qu’elle a même organisé. Elle est redevable de l’esclavage qu’elle a imposé, de la colonisation, et aujourd’hui de la France-Afrique et des interventions armées qu’elle fait au Mali. Elle est redevable de ça, c’est normal qu’on lui pose des questions, c’est normal qu’on lui demande.”
L’essayiste Pierre Tévanian se positionne sur ce même territoire. Il estime que ces statues sont des “objets de vénération” et insiste sur : “l'inégalité de traitement des différentes « communautés » et de leurs différentes « mémoires »”. Pour lui, “la dénégation des torts passés et l’injonction à l’oubli faite aux descendants de victimes constituent pour cette raison une violence symbolique qu’aucun bon républicain blanc n’accepterait pour lui-même. ” Il poursuit : “la véritable question que posent les Indigènes de la République et quelques autres : (...) la question sociale et politique de l’héritage colonial, de la transmission des représentations racistes et de la reproduction des mécanismes discriminatoires.”
Guillaume Mazeau et Mathilde Larrère évoquent également la dimension coloniale du présent en liant les inégalités contemporaines avec la violence de ces symboles : “ Pour celles et ceux qui subissent aujourd’hui des discriminations, des stigmatisations et des inégalités issues du passé colonial, la mise à l’honneur des colonialistes est une violence.".
Pour eux, derrière cette présence de figures coloniales dans l’espace public, c’est l’absence des visages qui ont souffert de cette domination qui est soulignée : “L’effacement de celles et ceux qui, au contraire, ont lutté contre l’esclavage et la domination coloniale est, quant à lui, ressenti comme une injustice.”
En ce sens, les contestations, violentes ou pacifiques, “ne sauraient donc être uniquement assimilées à une soif gratuite de destruction du patrimoine ou de la culture. Ils témoignent aussi du désir de figurer, c’est-à-dire d’être représenté, dans l’espace public d’une République qui ne met à l’honneur qu’une petite partie seulement de la population”.
Pour Guillaume Mazeau, le rejet qu’ont suscité ces mouvements politiques : “révèle la difficulté à accepter certaines violences symboliques, même si elles sont politiques.” Leur caractère symbolique et patrimonial poussent à “sur-réagir” : “tout ce qui touche au patrimoine fait sur-réagir parce que le patrimoine est devenu quasiment une sorte de ciment sacré de nos sociétés contemporaines.”
Rodolphe Solbiac se positionne de façon similaire sur la question des revendications de visibilité dans l’espace public. Selon lui, ces actes sont la manifestation violente de “l’exigence d’une plus grande visibilité et d’une reconnaissance effective de la culture vernaculaire des Martiniquais d’ascendance africaine et de leur mémoire.” Pour l’historien : “Ce qu’exigent ces citoyens, (je tiens à les dénommer de cette matière car pour moi la destruction de ces statues est un acte citoyen) c’est un autre rapport au lieu, un autre paysage que celui constitué par les noms de rue et les monuments célébrant des figures de la colonisation (Victor Schoelcher), des colons esclavagistes, (Joséphine de Beauharnais et Napoléon Bonaparte) et des conquérants génocidaires (Pierre Belin Desnambuc)”.
Pour le chercheur, ceux qui prennent la parole pour s’opposer et dénoncer la violence de ces actes, et accuser les activistes d’incompétences historiques ne prennent pas en considération : “la violence permanente que constitue l’hégémonie mémorielle coloniale dans l’espace public.”.
Derrière le symbole de ces statues, Rodolphe Solbiac constate : “ la falsification de l’histoire officielle qui a consisté pendant plus d’un siècle à présenter Victor Schoelcher comme le libérateur des Africains esclavagés en Martinique.”. Pour lui, il est impossible de célébrer un personnage qui a "œuvré pour une abolition qui n’a pas réparé leurs ancêtres”.
"Les statues coloniales envoient un message : c'est l'esthétique de la domination, l'esthétique de la conquête coloniale. Très masculinisée, viriliste et militaire"
François Vergès, politologue, militante féministe décoloniale
" Qui décide que tel regard est plus vrai, plus juste, qu'un autre regard ? "
Jacqueline Lalouette, historienne, membre senior de l'Institut Universitaire de France.
ÉDES STATUES ENDORMIES
Pour d’autres acteurs, ces statues n’ont pas d’effets dans l’espace public, elles nous disent bien plus sur les positions idéologiques de ceux qui les regardent que sur le sens véritable de leur présence dans l’espace public.
Pour Bertrand Tillier, l’enjeu derrière ces contestations n’est pas celui de la représentation de ces hommes en tant que telle. La représentation est muette, elle ne dit rien des actions pour lesquelles ces figures historiques sont condamnables. Il évoque par exemple la statue du maréchal Bugeaud, d’abord érigée à Alger puis ramenée en France en 1962, celle du général Faidherbe à Lille : “le rapport avec les violences de la colonisation, le lien avec les enfumages, les massacres etc. c’est absolument invisible dans l’objet.” Il reconnaît dans le cas de la statue de Bugeaud que des formulations épigraphiques évoquant la “pacification” de l’Algérie, inscrites sur le piédestal, sont problématiques. Selon lui : “Il conviendrait de les corriger”.
Mais, pour ce qui est de la représentation statufiée de Bugeaud et de Faidherbe : “si on revient à ce terme de représentation, quant à elle, [elle] n’est ni bonne ni mauvaise de ce point de vue, puisqu’elle n’en dit, ni n’en montre rien.”
La sociologue Sarah Gensburger se positionne également sur ce point en déplaçant la question. Plus qu’une représentation neutre ou muette à propos des crimes et des exactions des hommes qu’elles glorifient, ces statues doivent être considérées comme des “vecteurs de commémorations”, c'est-à-dire des “supports” dont peuvent se saisir les individus pour porter des revendications sociales et politiques. De ce point de vue là, elle estime que « ces supports ne parlent finalement qu’à ceux qui sont déjà convaincus ». À l’inverse, elles blessent ceux qui sont déjà au fait des crimes de la personne glorifiée. Pour la plupart des gens, ces statues ne disent plus rien.
Jacqueline Lalouette insiste pour sa part sur le fait que la statue représente ce que chacun a envie d’y voir. Elle prend l’exemple de la statue en marbre de Schoelcher érigée devant le palais de Justice de Fort-de-France. Schoelcher est représenté avec une jeune esclave tout juste libérée à ses côtés. Elle explique : “Les adversaires de cette statue disent que c’est une statue paternaliste parce que Victor Schœlcher est penché vers la petite fille. La petite fille lui envoie un baiser. Mais décider que c’est une statue paternaliste, c’est déjà une construction toute faite. Moi, quand je regarde cette statue, je n’y vois pas de regard paternaliste. J’y vois un geste de tendresse réciproque.” Selon elle, il n’y a donc pas de vérité de la représentation de ces figures : “Qui décide que tel regard est plus vrai, plus juste, qu’un autre regard ?”. Pour l’historienne, ces statues disent ce que chacun souhaite y voir : “Vous décidez que c’est paternaliste ou vous décidez que c’est tendre.”
L’historienne ne relativise pas pour autant le sens de ces statues. Elles ont bien un sens, plus ou moins complexe en fonction des cas. Mais ce sens est méconnu par la plupart des gens. Jacqueline Lalouette estime d’abord que la dimension patrimoniale et le nom de sculpteur sont presque systématiquement passés sous silence. Les commanditaires de la statue, la date d’inauguration, toutes ces informations sont la plupart du temps absentes. L’historienne mobilise l’exemple de la statue de Faidherbe à Lille. Pour elle : “il est manifeste que le monument renvoie à la guerre de 1870-1871 [contre la Prusse].(...) Au pied du monument, la ville de Lille dicte à l’histoire les hauts-faits du général. Ces hauts-faits se rapportent à deux bas reliefs à gauche et à droite du piédestal : un bas relief qui représente la bataille de Pont-Noyelles et un bas relief qui représente la bataille de Bapaume.”
Selon Jacqueline Lalouette, cette explication est le seul sens de cette statue. Elle reconnaît par ailleurs la mention sur le piédestal de la statue de Faidherbe, qui rappelle son mandat de gouverneur du Sénégal bien que les dates soient incomplètes. Pour elle : “il est clair que c’est le commandant, le général commandant l’armée du Nord qui est ici représenté.” Jacqueline Lalouette appuie sa démonstration d’un exemple supplémentaire en évoquant la statue de Paul Bert à Auxerre, résident général en Annam-Tonkin, mais également savant, et ministre. Les bas-reliefs de sa statue mentionnent bien toutes ces dimensions :
“Qu’est-ce que je vais penser de cette statue ? Que glorifie cette statue ? J’ai à la fois le savant, le ministre, le résident. Les inscriptions renvoyant en annam-tonkin et le bas relief donnent annam-tonkin comme le dernier point. Le monument glorifie beaucoup plus l’Auxerrois, le savant, le ministre que le résident. Est-ce qu’il faut pour autant détruire ce monument ?”