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“Qu’est-ce qu’un patrimoine ? Faire comprendre cette question car nous en sommes tous les propriétaires et les responsables.”

Ce n'est pas mon métier de déboulonner !  Rires. On a plutôt tendance à créer de nouvelles statues dans l’espace public, notamment celle de Solitude une grande résistante Guadeloupéenne contre l’esclavage à laquelle on a rendu hommage; Elle sera installée dans le jardin qui porte son nom d’ailleurs, pour elle, le jardin Solitude en sa mémoire.

 On vient également de voter en conseil de Paris la réhabilitation d’une statue qui avait été détruite par les nazis sous l’occupation, la statue du Général Dumas, qui était le père d’Alexandre Dumas. Le général Dumas lui a été un acteur de la révolution française, c’est d’ailleurs à ce titre là qu’on lui a rendu hommage en 1912, et érigé à l’époque sur la place Malesherbes qui porte aujourd’hui le nom du Général Catroux. Donc voilà on est plutôt sur la notion de construire des statues que de déboulonner mais je pense que vous faites allusion à la statue de Voltaire ? ou de Colbert ?

 Concernant la statue de Colbert, d’une part, elle n’appartient pas à la ville mais à l'État. 

En fait, il y a beaucoup d’émotions aujourd’hui qui naissent et elles sont naturelles, on peut comprendre les colères des gens, leurs souffrances, on peut comprendre qu’il y ait des choses qui puissent les choquer, mais on n’est pas sur le déboulonnage des statues. Cette polémique a permis de savoir que Colbert avait écrit le code noir, ce qui n’était pas connu du grand public.

Concernant la statue de Voltaire, elle n’appartient pas à la ville mais à l'État mais elle est sous la responsabilité de la ville, pour ce qui est de son entretien. La statue Voltaire a été très très souvent dégradée au point que la Conservation des oeuvres d’art religieuses et civiles de la ville (la COARC) a estimé qu’il était urgent de faire quelque chose pour sauver cette œuvre car il faut savoir qu’à force de nettoyage (il faut enlever les traces de peinture, d’encre) avec des produits un peu abrasifs, et c’est très délétère pour la pierre, ça laisse des traces fantômes, c’est-à-dire qu’on n’arrive jamais à tout enlever, il y a toujours quelque chose qui reste, on ne revient jamais à la statue originelle.

Or, Quand on est chargée du patrimoine c’est vrai qu’on a un devoir de préservation,  et toutes les personnes qui seront en charge du patrimoine vous diront qu’on est là pour la pérennité, pour préserver pour les générations futures, car effectivement nous ne sommes que de passage. Et l’idée que dans quelques siècles on puisse raconter l’histoire du passé. Et évidemment ce sont des jalons de l’histoire de la ville de Paris, et cette statue ayant été trop dégradée et n’appartenant pas à la ville de Paris, on l’a rendue en fait au CNAP qui eux vont la restaurer et ensuite elle va revenir sur son lieu d’origine. On a écrit un courrier au CNAP pour leur dire qu’on a la volonté de récupérer la statue une fois qu’elle sera restaurée.

 

Comment allez-vous ensuite après récupération de la statue éviter les nouvelles dégradations après restauration ?

 

C’est très difficile. La ville de Paris est dense, très visitée, très empruntée, on ne peut pas mettre un agent derrière chaque personne. C’est un problème à Paris, c’est sûr ! C’est une ville très visitée, ce n’est pas une ville calme et forcément il y a des choses qui se dégradent. Je pense notamment à la  statue de la République qui vient d’être classée monuments historiques après notre demande, et c’est non seulement une très belle œuvre des frères Maurice et également un symbole très fort de la France. Elle est pourtant taguée toutes les semaines. On doit à chaque fois envoyer les services de la ville pour faire ce nettoyage. C’est donc une mise en péril de l'œuvre :  car à chaque fois qu’on nettoie on dégrade ! Il y a la dégradation qui émane du tag, du geste et en même temps il y a l'agressivité du produit qu’on met pour nettoyer. La pauvre statue est dégradée plusieurs fois. Pour les amoureux de l'art, c'est difficile de voir une œuvre abîmée. Finalement pour les statues le fait qu’elle soit en marbre, en bronze on a peut-être le sentiment qu’elles sont dures à cuire; qu’on peut tout leur faire subir; imaginez la même chose sur un tableau de Rubens. On se doit de préserver l'art !

Selon la sociologue Sarah Gensburger, les gens ne regardent pas les statues. Et selon ce que vous me dites, nous avons l’impression que oui puisqu’elles sont régulièrement dégradées. Qu’en pensez-vous?

 C’est peut-être que les gens ne s’en rendent pas compte. Quand on voyage quelque part et qu’on revient on s’aperçoit que Paris est la plus belle ville du monde ! Si Paris est très belle c’est bien parce qu’au fur et à mesure des siècles, les artistes ont aussi embelli cette ville. Et donc forcément qu’il faut la regarder autrement. C’est pas évident quand on est pris dans la course du quotidien de s’arrêter un moment… Ce serait formidable que les parisiens et même les touristes apprennent à regarder la ville autrement. En tant qu’adjointe au patrimoine j’aime bien justement provoquer le regard sur ce qu’on n’a pas l’habitude de voir, j’ai mis par exemple en exergue les œuvres d’art dans les Églises qui appartiennent à la ville de Paris. Même si on ne peut pas comparer les églises aux musées,  il se trouve que les tableaux dans les églises peuvent avoir une vie muséale.

Exemple : le Delacroix qui est allé au Louvre ou au MET de New-York. Il y a donc des artistes majeurs, je pense à Rubens, à Delacroix qui a des tableaux à Saint-Sulpice, en fait on a de très grands noms dans les Églises parisiennes.

 

Que faire concernant les statues dans l’espace public, leur déboulonnage ?

 

C’est vrai qu’on a moins la culture de la statue dans notre génération même si on va ériger la statue de Solitude et reconstruire à l’identique celle du général Dumas (aux frais de l’Etat et non de la ville d’ailleurs). Il se trouve que pendant très longtemps, en tout cas le XXème siècle n’a pas été le siècle de la sculpture figurative.

Avec Bertrand Delanoë on a débaptisé des noms de rue. La rue Richepance, qui était un un esclavagiste,  est devenue rue du Chevalier Saint George qui lui, était esclave. On a aussi changé le nom d’un bal qui s’appelait le Bal Nègre dans le 15ème arrondissement et on lui a redonné le nom qu’il avait auparavant : le Bal Blomet comme la rue Blomet.

J’assume de ne pas remettre en place un tableau et une enseigne comme “au nègre joyeux”, c’était au départ une publicité avant de devenir une oeuvre d’art. Imaginons aujourd’hui un café avec cette bâche. Nous ne serions pas obligés de garder une publicité sur des murs d’immeubles.

Dans les années 80, suite aux demandes des propriétaires de l’immeuble, la Ville avait déjà financé une première restauration pour 150 000 francs de l’époque mais cette enseigne a toujours généré beaucoup de tensions. Beaucoup de gens venaient lancer des projectiles dans les années 2000. Cette œuvre était très dégradée. Il y a eu une demande de restauration via le budget participatif, demande des riverains. La ville de Paris l’a restaurée pour une somme de 60 000 euros en 2018. Il fallait ensuite ré-accrocher, et je trouve que le geste de ré-accrocher une enseigne Au Negre joyeux aujourd’hui, qu’on a retirée, est encore plus terrible.

 

Pour vous, la place de cette publicité doit-elle être dans les musées ?

 

Justement j’ai demandé qu’on ne remette pas “au nègre joyeux” sur l’immeuble place de la Contrescarpe. Je trouve qu’il y a une temporalité à respecter. Le fait de raccrocher en 2021 est un geste de 2021, ce n’est pas un geste de 1897 : en conscience je le mets, et donc je fais un acte. C’est ce que j’essaie de faire comprendre aux copropriétaires qui ne comprennent pas et qui sont déçus. Je peux comprendre qu’ils aient pris l’habitude de vivre avec. Mais en vérité le fait de raccrocher devient un problème. En revanche je me suis battue pour que le tableau “au nègre joyeux” fasse partie du musée de Paris au musée Carnavalet. Le bandeau est trop grand, il fait 5 mètres de long, en revanche le tableau sera installé et sera accompagné d’une explication. Il y aura forcément un débat qui s’en suivra. Je comprends que ce soit délicat, difficile et je comprends même que tout le monde ne soit pas forcément d’accord. En fait la question de la mémoire est très difficile, c’est toujours sur le fil car on touche à l’émotion, on touche à des vies, à une mémoire de l’ordre de l’affectif donc forcément on est en dehors du rationnel.

 

Comment se passe au niveau décisionnel, le point de vue de l'aménagement de l’espace public parisien ? Qui décide de ce qu'il faut garder, enlever ?

 

Jusqu’à maintenant on n'a jamais retiré de statues si on parle de la statuaire. Les noms de rue passent en conseil de Paris, bien entendu, en conseil d’arrondissement quand ça concerne un arrondissement. Pour le budget participatif concernant “le nègre joyeux” il a été voté en conseil d’arrondissement, ensuite une fois validé ça passe au Conseil de Paris car on est sur une somme très importante (60 000 euros) même 90 000 euros car le raccrochage coûte de l’argent (raccrochage qui n’a pas été fait) puis il reste une somme pour créer le texte, les explicatifs avec un renvoi sur QR code. Parfois les sujets passent sans faire de vague, parfois ils remontent et sont rapportés par des élus qui souhaitent s’arrêter sur un sujet. 

Lors d’un conseil de Paris en 2017, des élus ont émis un amendement pour dire que ce tableau et cette enseigne n’étant pas en adéquation avec les valeurs que l’on défend aujourd’hui doit être restauré mais pas reposé. Il sera donc visible au musée Carnavalet.

 

Par exemple concernant l’érection de la statue de Solitude comment se passe le processus décisionnel ?

 

Le processus décisionnel émane d’une volonté de la Maire de Paris; En fait, son nom, Solitude, lors des commémorations sur l’histoire de l’esclavage revenait souvent. Elle fait partie des résistantes contre l’esclavage. On est sensible à cette histoire et on s’est dit que l’on pourrait donner son nom à ce jardin comme on l’a fait pour d'autres résistants ou personnalités qui ont combattu l’esclavage. Une statue de femme en plus, ce qui est rare également dans la ville de Paris. Pour que cela se concrétise, il faut que ça passe en Conseil de Paris. Ensuite ce sont les services de la ville compétents qui mènent à bien la création de cette statue. On fait appel à des artistes.

 

Du coup qui  sont les services compétents ?

 

C’est essentiellement la direction des affaires culturelles, pour tout ce qui est artistique avec l’adjointe à la mémoire, et l’adjointe à la culture.

Une fois que la statue est implantée dans la ville, cela me revient en tant qu'adjointe au patrimoine pour ce qui est de l’entretien.

 

Comment vous répertoriez les monuments publics à Paris, leurs noms ?

 

Il y a un inventaire de l’ensemble des édifices qui appartiennent à la ville de Paris ; il y a une mémoire, une bibliothèque des édifices. C’est un travail très important qu’il faut mener avec beaucoup de précision, ce qui prend beaucoup de temps. On a envie de systématiser l’inventaire pour pouvoir préserver la mémoire.

Ce projet de valorisation du patrimoine et de l’histoire a débuté avec une cartographie des édifices de la ville : journées du patrimoine concernant la statuaire, également un focus sur la statuaire féminine dans la ville de Paris pour montrer leur invisibilité !

Il y aura des conférences autour de la statuaire, sur comment on restaure une statue. Beaucoup de sujets vont s’échelonner tout au long de l’année et un focus plus important au moment de la journée du patrimoine.

 

Avez-vous attendu les manifestations, les dégradations de mai/juin autour de la polémique du déboulonnage ?

 

J’y pensais avant. Car je suis chargée de la restauration en tant qu’adjointe du patrimoine de la ville de Paris. On a un comité d’histoire de la ville de Paris composé d’une cinquantaine d’historiens et d’historiennes sur l’ensemble des époques et des thèmes historiques dont évidemment l’abolition de l’esclavage. Mais pour l’instant mon idée est de bien faire connaître la statuaire, leurs auteurs, peut-être transmettre aux collégiens et collégiennes. Apprendre le savoir-faire, l’art de la culture et évidemment raconter les symboles. C’est le travail de l’histoire de l’art : pourquoi une œuvre a-t-elle été construite, le message, l’époque, quel objet. Une démarche explicative, de meilleure connaissance de la ville. Qu’est-ce qu’un patrimoine ? Faire comprendre cette question car nous en sommes tous les propriétaires et les responsables.”

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