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"le musée semble être un lieu possible pour la garder à l'état de "chose historique"."

Pouvez-vous vous présenter ?

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Laurence Bertrand Dorléac, j'ai fait bien des choses avant d'avoir des activités relativement stabilisées d'historienne de l'art, de professeure des universités, d'auteure de livres et d'articles, de directrice du séminaire de recherche Arts @ Sociétés au Centre d'histoire de Sciences po, de directrice de publication la Lettre du séminaire, de la collection Oeuvres en sociétés aux presses du réel, de commissaire d'exposition et de présidente du Conseil scientifique du Festival d'histoire de l'art. Avant tout cela, j'ai fait du théâtre et de la peinture, du journalisme et j'ai     été l'assistante d'un éditeur (pour gagner ma vie). Côté programme, j'ai toujours essayé de franchir les frontières disciplinaires ou géographiques. J'ai voulu bâtir des ponts entre des mondes qui ne se parlaient pas, en particulier entre l'Université et le     Musée. Je pratique une histoire de l'art non internaliste qui se nourrit de     toutes les sciences humaines et sociales en fonction de mon objet d'étude et d'intérêt. À chaque objet, j'ai l'impression qu'il me faut repartir à zéro ou presque...

 

Pensez-vous que la place d’une statue contestée pour ses valeurs doit-elle être dans un musée ? Est-ce un cadre neutralisant ? Quel est l’enjeu d’un déplacement en dehors de l’espace public par rapport au travail de l’artiste ?

 

Le Musée est un lieu soumis à variations. C'est une construction historique qui n'a pas toujours été stable et qui ne l'est pas davantage aujourd'hui. Même si c'est un lieu de mémoire, il peut être très différent selon son histoire, son programme, sa direction. Il peut être fixiste ou il peut au contraire répondre aux préoccupations de son temps.

Dès lors qu'une statue est contestée dans l'espace public, elle peut-être soit     détruite soit conservée. Si elle est conservée, le musée semble être un lieu     possible pour la garder à l'état de "chose historique". Elle n'est pas pour autant complètement désactivée ni neutralisée, elle peut encore produire des effets, des révoltes, des adhésions. Mais elle n'a plus le même statut que sur la place publique où elle semble héroïser une personne ou un événement. Quant au travail de l'artiste, il est soumis comme le reste à l'atmosphère     d'une époque où il est regardé.  Tout cela tient aussi beaucoup à la façon     dont on présente ce travail et ces statues. Ils peuvent changer de sens non     seulement par les textes qui les entourent mais par leur disposition, par     leur mise en valeur ou au contraire par leur neutralisation si on leur retire     leur piédestal. En outre, c'est l'entourage d'autres œuvres qui donnera le  sens de l'ensemble et de chaque statue en particulier.

 

Avant, quels étaient les processus de création entre la commande publique, le choix de l’artiste et la livraison ? La position de l’artiste différait-elle de celle d’aujourd’hui ? (créée sans contrainte) 

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Avant, cela dépend quand exactement. Disons pour schématiser que plus     l'on se rapproche de notre époque, plus la commande semble moins     contraignante. En fait, ce n'est pas complètement exact car il y a toujours     des contraintes au moins matérielles de lieu sinon de forme. 

 

Comment l’art s’articule-t-il autour de l’objet mémoire aujourd’hui ? À votre sens, regarde-t-on aujourd’hui davantage une statue dans une rue ou dans un musée ? 

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On ne regarde plus tellement ce que l'on voit en permanence. C'est la raison pour laquelle Christo empaquetait des monuments : pour qu'on les redécouvre ensuite.  Ponctuellement, certaines statues peuvent faire l'objet d'un débat, auquel cas, on y fera attention mais ce n'est pas la majorité des cas, très loin de là. On ne sait d'ailleurs presque jamais ce qui est commémoré dans ces statues, sauf exception. On en a généralement perdu la signification historique originelle. Il faudrait engager une enquête qualitative sur le degré d'attention que l'on porte à une statue sur la place publique et dans un musée où, par définition, on est là pour regarder, vraiment, même rapidement. 

 

Que pensez-vous du fait que la statue soit sujette à des questionnements philosophiques, historiques et sociologiques ? Et quelle est la place de l’aspect artistique ?

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Je ne distingue pas les deux pour ma part. Je peux analyser les différents éléments séparément mais il y a bien un moment où l'œuvre rassemble à la fois des questionnements dont vous parlez et des qualités esthétiques. Ce qui est sûr c'est que pour certaines personnes, l'un peut aller sans l'autre. Le sujet sera primordial ou la forme le sera. Une œuvre peut être bourrée de bonnes intentions philosophiques et esthétiquement sans intérêt. 

 

Comment distinguer l'œuvre artistique de la mémoire historique ? Où ces statues doivent-elles finir ? 

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C'est une vraie question que vous posez. Vous pourriez proposer un Musée ou une Maison unique des statues dont on ne veut plus sur la voie publique... Le Musée ne peut pas se consacrer uniquement à archiver mais par principe, je n'aime pas l'idée de destruction des traces de l'histoire. Vous ne pouvez pas demander à une historienne de faire l'apologie de la suppression de l'Histoire, de ses variations, de ses dérèglements, des contradictions humaines, de tout ce qui peut nous paraitre absurde et même scandaleux et inadmissible aujourd'hui. 

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