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“Ce système de gloire nous est devenu largement étarnger, c’est le grand homme, vecteur du progrès, du génie national, incluant dans son sillage les conquêtes coloniales”

Qui est-il ?

Historien, maître de conférences (IUF) à l'université Paris-Est Créteil (Centre de recherches en histoire européenne comparée), spécialiste d'histoire politique et culturelle, Emmanuel Fureix a notamment publié de nombreux ouvrages comme La France des larmes (Champ Vallon, 2009) et Le Siècle des possibles 1814-1914 (PUF, 2014). Dans son ouvrage L'Œil blessé. Politiques de l’iconoclasme après la Révolution française, il propose une étude des pratiques iconoclastes en France entre 1814 et 1871 Emmanuel Fureix est intervenu plusieurs fois dans les médias mais ses prises de position les plus développées sont accessibles dans les épisodes #140, #141 et #144 du podcast Paroles d’histoire..

 

Positionnement  

Episode #140. Des statues contestées #1. Tempête mémorielle dans l’espace public. 

 

Différences et points communs entre l’iconoclasme d’aujourd’hui et celui de la révolution. (7:45)

“La différence la plus évidente tient à la temporalité des révolutionnaires, au lien qui existe fortement au XIX entre l'iconoclasme et les transferts de souveraineté. Les abattages de bustes, de statues, d’images de souverains accompagnent, parfois précèdent, les transferts réels de souveraineté. En revanche, les deux autres régimes d’iconoclasme sont bien présents. Le régime d’effraction et puis le régime de réparation se retrouvent pleinement aujourd’hui. Le régime de réparation c’est l’idée de considérer que les noirs blessés par un signe ou par un monument doivent être réparés par l’effacement de ce signe ou de ce monument. Le régime d’effraction c’est l’idée que l’attaque d’une statue, cela peut être aussi une image dans l’espace public, constitue une des modalités de prise de parole possible. Ces formes là sont très présentes aujourd’hui sous la forme notamment de graffiti mais d’autres gestes. On a pu voir, par exemple, avec la statue de Gallieni, le monument couvert d’un voile, qui m’a fait pensé à beaucoup de gestes, de bricolages qui sont situés entre ce que l’on appelle “iconoclash” au cours du XIXe siècle, des modalités que l’on trouve pour éviter de détruire purement et simplement une statue en insistant sur la blessure que ce monument inflige, en le déplaçant, en la graffitant, en posant un voile.”

 

Une réponse en termes de valeurs ? (20:16) 

“Les historiens de la statuaire attaché aux statues en tant que patrimoine défendent davantage l’idée d’une conservation de ces artefacts. Les historiens et sociologues de la mémoire insistent sur les faibles effets - j’allais dire performatif - de ces destructions, effacement des monuments, les faibles effets sur la transformation réelle des rapports sociaux. Et puis, de manière parfois un peu caricaturale, les historiens ont été engagés dans l’arène des grands débats médiatiques en jugeant les grands hommes statufiés à l’aune des critères et des valeurs contemporaines, se laissant parfois piéger par ces débats. De mon côté, je porterai la question sur ce que dit la statue, sur ces effets dans l’espace, sur les communautés environnantes, pour ne pas arriver à une espèce de procès général des grands hommes qui est la dérive possible”. 


 

(37:29)

“La plupart de ces monuments sont de fait dans des circonstances normales invisibles ou illisibles et ils ne redeviennent visibles et lisibles qu’à la faveur de tensions sociales et politiques. De ce point de vue, le XXIe siècle n’est pas différent du XIXe siècle. Le régime ordinaire des statues est celui de l’invisibilité. (...) Un effet (...) de ces controverses, nous nous habituons trop, hommes politiques, historiens, sociologues, à traverser un décor dont le sens s’est perdu. Je pense notamment au décor statuaire qui se trouve devant l’Assemblée nationale avec ces quatre grands serviteurs de l’ancien régime, quatre grands serviteurs de l’Etat, dont le grand programme statuaire a été réalisé sous Napoléon Ier comme signe de continuité entre l’ancien régime, la révolution et le Premier Empire - à savoir la statue d’Aguesseau, de L’Hospital, de Sully, et de Colbert, donc pas simplement Colbert. Or ce décor est devenu anachronique, pas simplement historiquement ou de manière mémorielle, insupportable aux yeux de certains. C’est cette réactualisation du parc statuaire qui est l’enjeu plus général de ces mouvements, et donc nous devons nous saisir, tous, collectivement, spécialistes et non spécialistes, citoyens de cet enjeu.” 

 

Episode #141. Des statues contestées #2. Aux sources de l’iconoclasme. (12:40)

“Beaucoup de mobilisations sociales, politiques, de constructions de signification sont à rapprocher de ce qu’on observe aujourd'hui en France et ailleurs.”

 

“Les historiens de la statuaire attaché aux statues en tant que patrimoine défendent davantage l’idée d’une conservation de ces artefacts. Les historiens et sociologues de la mémoire insistent sur les faibles effets - j’allais dire performatif - de ces destructions, effacement des monuments, les faibles effets sur la transformation réelle des rapports sociaux. Et puis, de manière parfois un peu caricaturale, les historiens ont été engagés dans l’arène des grands débats médiatiques en jugeant les grands hommes statufiés à l’aune des critères et des valeurs contemporaines, se laissant parfois piéger par ces débats. De mon côté, je porterai la question sur ce que dit la statue, sur ces effets dans l’espace, sur les communautés environnantes, pour ne pas arriver à une espèce de procès général des grands hommes qui est la dérive possible”. 

 

Episode #144. Des statues contestées #5. Déboulonner, et après ? (08:13) 

“Les statues de grands hommes ne sont pas simplement des objets commémoratifs, ils ne sont pas des livres d’histoire, ils sont des régimes de gloire incarnés. De fait, le parc statuaire qui est celui de nos villes contemporaines, en réalité est celui de la fin du XIXe et du début du XXe c'est-à-dire l’âge d’or de la statuomanie. Le terme péjoratif montre qu’à l'époque même de son triomphe il a aussi suscité des critiques, par l’effet d’inflation, il y avait trop de grands hommes, on parlait de grands hommes de chef lieu de Canton etc. Ce système de gloire nous est devenu largement étarnger, c’est le grand homme, vecteur du progrès, du génie national, incluant dans son sillage les conquêtes coloniales, tout l’enjeu des controverses contemporaines. L’un des enjeux d’aujourd’hui consiste à réfléchir ensemble à un nouveau régime du grand homme au XXIe siècle, plus modeste, qui inclut l’idée d’un droit à la ville qui est celui d’un droit de représentation visuelle des différentes catégories sociales, qui n’implique pas l’idée d’un miroir entre la population et les statues mais en tout cas l’idée d’une capacité à se projeter dans le présent et pas seulement dans un passé aujourd’hui enseveli. Ce qui implique la présence des femmes, la présence des classes populaires, dans ces images de grands hommes. Il faudrait bien sûr élargir cette question bien au-delà de la statuaire en incluant les fresques, le street-art etc.” 

(52:19)

“Je pense que les artistes ont plus à nous dire sur les possibilités de redessiner le sens d’un monument, voire même l’inverser, que les historiens proprement dits. Ils peuvent, en collaboration avec des sociologues, des anthropologues, des géographes, réfléchir également ensemble sur les sens perçus, voir l’absence de sens tout court, par les habitants, des monuments sujets de contestations. Un monument est figé dans sa matérialité, mais les sens qui lui sont donnés se superposent dans des couches successives. Des propositions artistiques peuvent rendre sensibles et visibles ces nouvelles couches de sens. En ce sens, leurs propositions sont réellement à écouter avec la plus grande intention.”

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Solutions envisagées

Il est nécessaire d’interroger ce que dit la statue, sur ces effets dans l’espace public, sur les communautés environnantes, pour ne pas arriver à une espèce de procès général des grands hommes qui est la dérive possible. L’arbitrage doit être politique et ne doit donc pas être effectué par les historiens : il faut apporter un message explicatif dans le cas de grands hommes controversés.

 

Enfin, Emmanuel Fureix préconise l’organisation de promenades urbaines destinées à expliquer cette mémoire négrière et que lorsqu’un monument pose vraiment problème, on l’isole dans un musée sans le détruire pour qu’il soit dépolitisé.

 

Analogie

Nicolas Offenstadt

Jennifer Sessions

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Ressources

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